C’était le 1er juin 1972. Il y a 50 ans. J’ai découvert alors que la Terre était ronde. Je quittais Montréal pour ne revenir que 27 mois plus tard. Un tour du monde non pas en 80 jours, mais en un peu plus de 800 jours…. et avec 4000 $ (incluant le prix de quelques billets d’avion).
Je ne suis souvent demandé si un tel projet serait possible aujourd’hui avec le même montant d’argent (en termes de pouvoir d’achat). Un montant de 4000 $ en 1972 équivaudrait à 25 000 $ aujourd’hui en termes de pouvoir d’achat… et en me contentant de très peu, en faisant beaucoup d’autostop, en dormant sur des balcons, des bancs publics, dans des bennes de camion, sur le toit de stations-services, etc…. est-ce que j’arriverais à faire sensiblement le même tour du monde… en passant d’un budget de 3$/jour en 1972 à 20$/jour en 2022? Je pense que non.
Voyager à l’époque était davantage une expérience hors des sentiers battus
Avant que le tourisme ne devienne une industrie (tourisme de masse) et que des guides de voyage vous indiquent quoi voir, où manger et où dormir. En 1972, intrigué par notre présence, on nous demandait parfois ce que nous faisions là. Aujourd’hui, on a compris le concept et on l’exploite à fond. Au Yémen, on se demandait ce que nous venions y faire. Au Guatemala, il fallait souvent frapper à la porte d’une maison pour demander aux gens s’ils ne pouvaient pas nous préparer un petit quelque chose à manger faute de pouvoir trouver un endroit où bouffer. En Sibérie, sur les rives du lac Baïkal, il fallait faire du porte-à-porte pour trouver un endroit où dormir. Nous n’avions d’autre choix que de nous fondre dans le décor et d’adopter le rythme de vie au quotidien des gens du pays.
Aujourd’hui, un voyageur peut aller partout dans le confort de son chez-soi et se retrouve, de gré ou de force, plongé dans ce qui est devenu une industrie touristique où tout à un prix.
À certains endroits, se retrouver par hasard sur une place publique un jour de marché a un prix. À une certaine époque, nous étions de la visite rare qu’on n’attendait pas. De nos jours, on nous attend de pied ferme et ce, peu importe la formule choisie. On y gagne en termes de services offerts, mais on y perd beaucoup en spontanéité…. et à certains endroits, on ne veut même plus nous voir tellement les touristes sont devenus envahissants en nombre et difficiles à vivre en raison de leur comportement.
J’avais un peu l’impression, à l’époque, de vivre dans une société parallèle à celle qui m’avait vu naître, en marge de la société en quelque sorte… et je pense que je vis toujours dans ma tête un peu en marge de la société et que j’essaie, à tout le moins, de garder une certaine distance face à une société de consommation de plus en plus envahissante et qui tente d’uniformiser le plus possible une façon de vivre et le monde qui nous entoure. Un de mes oncles, qui avait déjà pris l’habitude dans les années 1970 d’aller passer quelques semaines en Floride en hiver, m’avait demandé, de retour de mon premier voyage autour du monde en 1974, s’il avait fait beau. Je n’ai toujours pas de réponse à cette question existentielle qui semble résumer une certaine façon de voyager… peut-être parce que le temps qu’il fait m’importe peu. Mes intérêts sont ailleurs.
Une quête autour du monde en toute innocence
Du 1er juin 1972 au 1er septembre 1974, j’étais, dans ma tête et dans ma quête autour du monde, à l’école de la vie. Ayant quitté Montréal avec une carte d’étudiant internationale (j’avais quitté l’université de Montréal un mois plus tôt), j’allais profiter de certains rabais en cours de route. Après ma virée en Europe de l’Ouest et en Afrique noire, je me suis retrouvé en Égypte en avril 1973 sans carte d’étudiant à jour. Décidé à remédier à cette situation avant de remonter vers l’Europe, je me suis retrouvé au campus universitaire du Caire dans l’espoir de renouveler mon statut d’étudiant. Ce fut une question de minutes avant que je rencontre un étudiant qui savait exactement où je pouvais me procurer une telle carte. Celle qu’on m’offrait ne ressemblait en rien à celle qui avait cours en Occident, mais qu’importe. Pour quelques dollars, j’allais avoir le statut d’étudiant pour une autre année et profiter ainsi de certaines réductions, dont notamment et non la moindre, ne pas payer d’impôt sur mes revenus d’emploi à Munich (été 1973). Quelques mois plus tard, j’allais rencontrer un étudiant d’origine tchèque à Berlin qui avait la même carte. J’ai alors compris que c’était la carte d’étudiant qui avait cours en Europe de l’Est. En janvier 1974, après avoir traversé l’Asie d’ouest en est, je me suis retrouvé en Thaïlande. Pour avoir le statut d’étudiant une autre année, il suffisait alors de monter à bord d’un tuk-tuk sur Kao San Road (le rendez-vous de tous les routards à Bangkok), le temps qu’on colle ma photo sur une fausse carte d’étudiant et qu’on y appose le tampon d’un collège en Grande-Bretagne, pour devenir officiellement et pour quelques dollars inscrit à l’école de la vie.
Quelques trucs d’un vieux routier
Si je n’ai plus une tête d’étudiant en 2022, je profite tout de même de certaines réductions sur la route compte tenu de mon âge. Ayant atteint l’âge vénérable de Confusius (70 ans et plus), j’ai accès gratuitement en Chine aux sites touristiques et musées tout en pouvant trouver un lit en dortoir dans une auberge de jeunesse. C’est le meilleur des deux mondes. La tarjeta dorada (carte de l’âge d’or) en Espagne permet également de bonnes économies à bord des trains. Aux Philippines, j’ai un accès prioritaire au moment de monter à bord d’un avion, de même qu’au comptoir des PFK/KFC (un privilège dont il ne faut pas abuser pour garder la santé), etc. pour ne donner que quelques exemples. Mais ce qui est très gênant, c’est quand un jeune me cède sa place assise dans le métro. J’assume… surtout quand le trajet peut être long.
Par Gérard Coderre
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