La transplantation de microbiote fécal consiste à introduire dans le colon d’une personne malade les excréments d’une personne saine, par voie rectale ou par l’ingestion de capsules (vous étiez à table ?Désolé !).
La transplantation de microbiote fécal (TMF) – acte de transférer la flore intestinale d’un individu à un autre – est une technique désormais éprouvée sur les animaux de laboratoire, chez qui elle produit des changements de métabolisme et de comportement reproductibles à volonté. Actuellement, à l’essai sur l’homme, les usages possibles sont vraiment très larges : toutes les maladies chroniques en lien avec l’écosystème intestinal sont potentiellement concernées.
Le Dr Guillaume Fond, neuropsychiatre et chercheur, estime que « 90 % des maladies chroniques sont en lien avec une perturbation du microbiote.» À ce jour, en France, la TMF n’est utilisée que pour les infections à la bactérie Clostridium difficile. Pour le reste, à moins d’avoir la chance d’être recruté dans un essai clinique, il est inutile de se précipiter chez son gastro-entérologue pour demander une. En attendant, quels sont les premiers résultats des essais ?
La greffe fécale, le retour d’une méthode ancienne
Jusqu’ici, pour corriger le microbiote, on cherchait à diminuer les mauvaises bactéries, via des antibiotiques ou des huiles essentielles, puis à stimuler les bonnes bactéries par la prise de probiotiques. Le résultat est généralement fragile parce qu’un écosystème initialement déséquilibré tend à conserver son mauvais pli. Alors qu’avec la TMF, c’est l’écosystème entier qui se trouve déplacé d’un organisme à l’autre, à l’image d’une transplantation d’organe. L’idée n’est pourtant pas neuve puisqu’au IVe siècle, Ge Hong, médecin et pharmacien chinois, administrait déjà des « suspensions fécales » pour traiter les intoxications alimentaires et les diarrhées sévères.
Tombée aux oubliettes, cette méthode revient sur le devant de la scène en 2013, avec la publication d’une étude dans le New England Journal of Medecine, révélant l’efficacité très prometteuse de la TMF face aux infections à Clostridium difficile.
Actuellement, plus de 200 essais cliniques sont en cours à travers le monde, sur des thèmes aussi variés que l’obésité, les maladies métaboliques, la maladie de Crohn, les troubles psychiatriques (dépression résistante, bipolarité), l’autisme et le cancer. Les chercheurs n’entendent pas en rester aux diarrhées infectieuses et veulent s’attaquer aux bactéries multirésistantes.
À la rescousse face aux maladies de civilisation
Dans la maladie de Crohn, un tiers des malades ne répondent pas aux traitements conventionnels, tandis que d’autres en subissent les effets indésirables, parfois importants. Il y a de plus en plus de preuves qu’un déséquilibre de la composition du microbiote, appelé dysbiose, est une caractéristique commune aux maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (les MICI). En fait, une dysbiose est capable de dérégler le système immunitaire de l’intestin (le GALT), entraînant une inflammation chronique et au final des lésions de la muqueuse. La TMF, en résolvant la dysbiose, semble là encore une thérapeutique d’avenir. Plusieurs études ont déjà démontré une certaine efficacité de cette transplantation sur la rectocolite hémorragique.
L’équipe du Pr Harry Sokol, de l’Hôpital Saint-Antoine à Paris, a comparé en simple aveugle l’effet d’une TMF réelle et d’une autre fictive chez des patients atteints de la maladie de Crohn. La transplantation allonge la période de rémission sans corticoïdes, et la composition du microbiote après TMF permet de prévoir le moment opportun de l’arrêt de ces médicaments.
Dans les infections résistantes, comme celles à la bactérie Clostridium difficile, la TMF est un traitement relativement nouveau, qui affiche déjà un taux de réussite de 90 %. Au niveau mondial, nous ne connaissons pas le nombre de personnes décédées, gravement malades ou ayant subi une ablation du côlon alors qu’une TMF aurait peut-être pu les sauver. Cette technique devient un traitement potentiel pour des millions de gens face à une pathologie incurable. Sauf exception, elle est considérée comme inoffensive et son coût est extrêmement faible au regard des traitements palliatifs conventionnels.
Cependant, les détracteurs de la méthode considèrent que les mécanismes du microbiote, à l’origine de la maladie, sont encore trop peu compréhensibles. Mais rien ne semble arrêter la TMF pressentie comme traitement d’avenir dans un grand nombre de pathologies. Après tout, ce n’est qu’en 1970 que nous avons compris comment fonctionnait l’aspirine, utilisée depuis plus d’un siècle !
Dépression et trouble du spectre autistique : l’axe intestin-cerveau dans le viseur
Dans les maladies neuropsychiatriques, la TMF apporte des améliorations cognitives et comportementales en même temps qu’une normalisation du microbiote. Le département de psychiatrie de l’université de médecine de Tokyo a étudié l’effet de la TMF sur les symptômes psychiatriques des patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable. Les résultats montrent que la dépression et l’anxiété sont améliorées en parallèle d’un accroissement de la diversité du microbiote. L’université de Cambridge rapporte le cas d’une femme de 79 ans, atteinte d’une dépression majeure, qui a rapidement retrouvé la santé suite à une TMF. Le séquençage du microbiote après la transplantation faisait apparaître une augmentation significative des bactéries firmicutes tandis que le nombre des bacteroïdetes était réduit. Plusieurs travaux ont déjà montré l’importance des proportions de ces familles de bactéries dans le développement cérébral.
Le plus spectaculaire, à ce jour, est peut-être le travail accompli chez des enfants autistes. En 2017, l’université d’Arizona publiait une première étude montrant 80 % d’amélioration des symptômes gastro-intestinaux (transit, douleur, digestion) mais aussi des symptômes comportementaux associés à l’autisme. Les jeunes malades avaient reçu une TMF majeure en début de traitement, puis de petites doses de rappel chaque semaine pendant deux mois. Les bénéfices obtenus se maintenaient deux mois après l’arrêt de tout traitement. Un séquençage des bactéries et des phages a révélé une excellente implantation du nouveau microbiote sur les receveurs, avec une bonne diversité microbienne.
Une seconde étude, publiée cette année dans Scientific Reports, va plus loin et démontre des bénéfices sur le long terme. Deux ans après la TMF, l’amélioration des troubles intestinaux restait acquise. Les parents ont rapporté une réduction constante des symptômes autistiques (langage, interaction sociale et comportement) au cours de ces deux années. Au début de l’étude, 83 % des participants étaient évalués en autisme sévère, un chiffre tombé à 17 % à la fin de l’étude.
La greffe fécale pourrait aussi présenter un intérêt en dehors des situations pathologiques, c’est-à-dire en prévention ; des athlètes ont même vu leurs performances s’améliorer après cette intervention. Les pilules d’excréments de qualité pourraient-elles devenir la « détox » de demain, ou une manière de remettre nos compteurs à zéro après de longs traitements antibiotiques ? Serons-nous encouragés à conserver notre propre microbiote d’enfant sain dans de futures « banques fécales » (à l’image des banques du sang ou des banques du sperme) pour pouvoir les utiliser tout au long de la vie en cas de problème de santé ? Bref, les microbiotes sains se font aujourd’hui très rares et les excréments de qualité pourraient bientôt valoir de l’or.
Prenez-soin de vous,
Source : www.alternativesante.fr
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