En 2030, tous les baby-boomers auront plus de 65 ans et les membres de la génération alpha, nés entre 2012 et 2025, arriveront sur le marché de l’emploi. Les plus jeunes X auront 50 ans et le gros de la force de travail au Québec sera constitué des Y et des Z.
«Bien que l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) n’établisse pas de projections à moyen et long terme de sa population active, on peut identifier certaines tendances, tout en gardant en tête que celles-ci pourront changer», prévient Luc Cloutier-Villeneuve, analyste en statistiques du travail de l’ISQ.
Tout d’abord, en raison du prolongement de la vie professionnelle, mieux vaut se garder de penser que tous les baby-boomers resteront chez eux à se la couler douce. En 2019, le taux d’activité des 65 ans et plus s’élevait à un sommet historique de 11,8 %. C’est plus de 4 points de pourcentage de plus qu’il y a 10 ans et plus de trois fois plus qu’en 1999. Le taux d’emploi de ce groupe d’âge augmente lui aussi à un rythme soutenu depuis vingt ans, pour atteindre 11,1 % en 2019.
Quant à la part de l’emploi détenue par ce groupe d’âge, elle a quadruplé en vingt ans. Il est peu probable de voir ces tendances s’inverser, ce qui laisse penser qu’un nombre significatif de baby-boomers continuera de travailler après 65 ans, voire 70 ans.
Cela se traduira par des équipes de travail très multigénérationnelles. Traditionnellement, les employeurs ont affronté ce défi en segmentant leurs salariés par groupes d’âge, afin d’adapter la gestion des ressources humaines aux différentes générations. Cependant, les recherches indiquent que les similarités entre membres d’une même génération sont souvent exagérées et ne résistent pas à un examen plus poussé. La segmentation par génération serait-elle dépassée?
Une notion vague
Pour répondre à cette question, encore faut-il savoir de quoi l’on parle. «En démographie, la notion de génération constitue en fait une dérive du terme “cohorte”, qui désigne un groupe d’individus nés lors d’une année précise ou qui ont vécu un même événement la même année, par exemple un mariage ou un soulèvement comme celui des étudiants en France en 1968, que l’on appelle les soixante-huitards», explique Jacques Légaré, professeur émérite au Département de démographie de l’Université de Montréal.
Au fil du temps, le terme s’est popularisé pour s’appliquer notamment à des cohortes de personnes nées entre deux années plus ou moins éloignées, qui ont traversé pendant leur enfance ou au début de l’âge adulte des épisodes historiques spécifiques comme une guerre, une crise financière ou une période de prospérité. «C’est devenu un concept un peu passe-partout, qui peut aider à identifier certaines caractéristiques dans une population, mais dont nous devons nous garder de tirer de grandes conclusions», ajoute le professeur.
Les quatre principales générations présentes sur le marché du travail sont : les baby-boomers (nés entre 1946 et 1964), les X (1965-1980), les millénariaux ou Y (1981-1992) et les Z (1993-2011)1. Si des tonnes d’articles ont été publiées dans les médias sur les approches différentes du travail entre les représentants de ces générations, la recherche scientifique peine en réalité à cerner des divergences marquées.
Des différences introuvables
«J’ai cherché des différences notables entre les générations au travail pendant des années, mais sans jamais en trouver», confie Tania Saba, professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. Elle les qualifie d’ailleurs «d’introuvables» dans le titre d’un article scientifique publié en 20172. Elle en conclut que la segmentation des travailleurs en catégories d’âge est risquée, puisqu’aucune donnée probante ne permet de lier les valeurs, les attentes en matière de condition de travail, les comportements ou les attitudes au simple fait d’appartenir à une génération. Ces approches peuvent même mener à certaines dérives, comme l’âgisme.
Pour qualifier des différences de «générationnelles», il faut d’abord pouvoir bien identifier les générations. Or, aux yeux de Tania Saba, si les baby-boomers forment une vraie génération, c’est beaucoup moins clair pour les X et les Y. «Le baby-boom commence à l’après-guerre et se termine dans les années soixante avec l’arrivée de la pilule contraceptive et l’entrée en masse des femmes sur le marché du travail, mais les X et les Y ne sont pas séparés par des changements historiques assez importants pour tracer une ligne ferme entre les deux», croit-elle.
Il faudrait aussi pouvoir lier directement un trait de caractère, un comportement ou une attente au fait d’appartenir à une génération. Or, les recherches de Tania Saba montrent plutôt que ces caractéristiques peuvent différer entre des individus d’une même génération et, au contraire, se ressembler entre des travailleurs de plusieurs générations. Les valeurs au travail resteraient somme toute assez communes. Par ailleurs, certains écarts quant à la satisfaction envers l’emploi, les attentes face aux défis et à l’avancement ou par rapport à l’équilibre travail et vie personnelle sont plus corrélées au degré d’avancement de la carrière qu’à une différence générationnelle.
Segmenter plus finement
Tout cela met du plomb dans l’aile aux pratiques de segmentation des travailleurs par âge, au profit d’approches plus individuelles de la relation d’emploi et de segmentations beaucoup plus fines. «On peut imaginer des segmentations plus pertinentes des salariés, par exemple par talent, par cheminement de carrière, par expérience vécue dans l’entreprise ou encore en fonction de critères tirés de leur vie personnelle, comme s’ils vivent en couple ou pas, s’ils ont des enfants ou un parent à charge ou pas, etc.», note Alain Gosselin, professeur honoraire à HEC Montréal.
Parmi les Y, par exemple, certains accèdent à des postes de direction et deviennent de jeunes gestionnaires. Cela modifie forcément leur rapport au travail et leurs relations avec leurs collègues.
Puisqu’il existe plus de différences entre les individus qu’entre les générations, une approche plus personnalisée aiderait à répondre beaucoup plus précisément aux besoins des travailleurs en tentant compte de la mixité des équipes. «La segmentation sert à résoudre des enjeux dans l’entreprise, donc c’est important de bien définir les groupes visés dans une intervention», rappelle Alain Gosselin. Il soutient qu’une organisation gagnera à personnaliser ses réponses à ces enjeux, tout en concédant que cela représente un plus grand défi de gestion qu’une simple segmentation par groupes d’âge.
Source : www.revuegestion.ca
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